Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Colette Hébert-Boillat
au gala de l’Ordre du Bleuet le 2 juin 2018
Avant même de naître, l’existence de Colette Hébert Boillat s’inscrit sous le signe de l’exception. Cet esprit frondeur au service d’une nature créative, jumelant des talents d’artiste et d’entrepreneur, est le fruit d’une alliance entre des êtres peu banals. Sa grand-mère paternelle a pour frère Victor Delamarre, haltérophile célèbre pour sa force. Sa mère, Maria Murray, aborde son premier jour dans le drame. À peine ouvre-t-elle les yeux, que la voilà orpheline. Adoptée à 10 ans par sa tante Adèle, elle quitte son village pour l’Ontario où elle suivra des cours de musique. De retour à Mistassini en 1921 comme institutrice, Maria hésite entre le couvent et le métier de garde-malade, mais Antonio emportera son cœur. Mesureur de bois sur les chantiers, celui qui deviendra par la suite maire de Mistassini pendant 11 ans aime la musique et le chant. Descendante de cette lignée digne d’un roman, Colette naît le 12 décembre 1926, troisième enfant d’une fratrie de 12.
Petite fille précédée de deux frères, elle joue plus volontiers à l’arbitre de lutte ou agent de circulation qu’au rôle de princesse. Excellente patineuse de fantaisie, elle concourt avec succès dans les carnavals d’hiver. Les quilles, le golf, la natation, le tennis, la pêche, les arts visuels confortent une nature polyvalente et fonceuse. Impulsive, elle est la feuille au vent qui se laisse emporter sans s’inquiéter de la chute. Comme elle le dira plus tard en évoquant son parcours dans le monde des arts : « J'ai toujours suivi mes instincts et mes désirs sans me demander ce que cela pouvait impliquer, sans réfléchir. Quand j'avais une idée, je ne pensais pas à la somme de travail associée à sa réalisation. La culture, ça se passe dans les tripes ».
Musicienne dans l’âme, elle apprend le piano auprès de Sœur Marguerite Savoie du Couvent de Mistassini et le chant auprès de Marie-Cécile Tremblay. Fan de Maria Callas, lors d’un concours d’amateurs au théâtre Plazza, elle interprète un extrait de l’opérette La valse de l’Adieu de Chopin qui lui vaut de chanter au théâtre Saint-Laurent de Montréal et d’y gagner la 2e place. Lauréate en piano à l’Université Laval en 1948, elle récidive en chant 2 ans plus tard. En 1952, elle obtient son brevet d’enseignement de Laval en orgue, piano et chant.
Afin d’ajouter plus de cordes à son arc, la jeune femme suit une formation en coiffure et chapellerie chez Hélène Curtis de Québec et des cours de chant avec Émile Larochelle. Elle ignore que son père a vendu sa voiture pour lui payer cette formation. La route de Colette est sinueuse. Il y a des détours dont les courbes éclatent en réussites. Le concours de chant augure d’une vie d’artiste, mais la solidarité familiale exige une contribution plus tangible au budget. Maria convainc sa fille de revenir travailler au Lac-Saint-Jean. Elle accepte et ouvre, avec succès, le Salon Colette qui plus tard y ajoutera une petite boutique de pacotilles nommée le 1-3-5. Coiffeuse et chapelière le jour, la musicienne reprend ses droits le soir avec les groupes qu’elle a formés : un quatuor de percussion et vent, un quintette vocal et le groupe Los Tempos faisant danser la jeunesse sur la musique sud-américaine. Raison de son exclusion des Enfants de Marie.
Entre la sagesse et la jeunesse, la jeune Hébert se laisse surprendre par un célibataire très convoité qui l’exaspère et l’intrigue. Né en Suisse en 1923, arrivé au Québec en 1940 avec ses parents, Charles Boillat remarque avec intérêt cette patineuse de fantaisie et musicienne qui anime les soirées de Dolbeau et Mistassini. Tous deux croisent le fer autour d’une table de billard. Elle le bat à ce duel, mais il aura la victoire des mots. Leur divergence de croyance et leurs discussions passionnées alimentent la flamme d’un sentiment qui prendra tout son sens dans les couleurs de l’automne 1955. De leur union naissent quatre enfants : Christine la musicienne, Annie la photographe, André « le castor constructeur », Hélène la coiffeuse.
Et tout commence. De 1966 à 1969, Colette suit des stages en psycho-musicologie et méthode ORSSS en rythmique à l’université Laval. C’est là que germe l’idée de doter sa ville d’un accès à des productions musicales. Elle fonde, en 1970, la Société d'Opéra de Dolbeau, crée le Chœur La Ré Do et monte, avec 40 amateurs de musique classique, l’opérette Les Saltimbanques. Suivent, jusqu’en 1979 Véronique, La belle Hélène, Les cloches de Corneville, Hello Dolly, My Fair Lady, Jésus parmi nous et Carmen.
En 1971, avec Jacqueline Lussier, elle ouvre et dirige L’École des arts, créant plus de 22 emplois, offrant 20 disciplines d’art à plusieurs centaines d’enfants et adultes. La Commission des loisirs octroie à son institution une subvention de 18 000 S pour 3 ans. La directrice y assume les tâches de concierge afin de boucler le budget. Malgré tous ses efforts, l’école ferme en 1975. À ce coup du sort et du manque de soutien récurrent, madame Hébert réplique en ouvrant sa propre maison aux aspirants musiciens, y enseignant 9 mois par année. Au cours de sa carrière, elle initie près de 2 500 enfants à la musique.
Cela ne suffit pas. Elle siège sur le conseil d’administration du Camp musical du Lac-Saint-Jean. Elle crée et dirige une chorale Gospel. Elle fonde la maison de production TMHB et produit plusieurs disques. Elle écrit et dirige des pièces de théâtre par et pour le 3e âge et sa communauté. Elle trouve le temps d’enseigner en Arts et Lettres à l’Université du Québec à Chicoutimi. En 1998, elle écrit une télésérie, L’Affaire Lemieux, basée sur un fait vécu qui sera, hélas! refusée par les 25 maisons de productions sollicitées. Elle participe à l’ouverture d’un café-théâtre et variétés et organise des évènements culturels.
L’engagement de Colette pour promouvoir les arts dans sa région est une lutte sans fin contre l’indifférence et l’absence de soutien des instances gouvernementales et du milieu des affaires. En 2006, confiant ses luttes et ses regrets à Marie-Claude Parent du Progrès-Dimanche, Mme Hébert déclare : « J'ai fait 50 métiers, j'ai connu 50 misères. Même si ma vie semble avoir été fantastique, j'ai essuyé beaucoup plus de refus que j'ai pu me réjouir de la concrétisation de mes projets. Malgré mes rêves en couleur et la perte de mes illusions, je considère que c'est moi qui suis sortie gagnante de toutes ces expériences. En me battant contre la mesquinerie des gens et leurs valeurs monétaires, je suis devenue plus forte. »
Ses enfants artistes bénévoles, « l’équipe de Bénévoillat » comme l’appelle son fils André, et les enfants qu’elle a initiés à la musique pendant 40 ans nourrissent sa détermination, convaincue que malgré tout rien ne peut faire taire leurs rêves. Elle ne semble pas voir à quel point c’est elle qui a porté leurs rêves sur ses propres ailes que nul n’a pu rogner.
Nommée personnalité de l’année par la Chambre de commerce de Dolbeau, le 18 mai 1979, son amie Françoise Gauthier écrit que pour ceux qui la regardent vivre, elle est un exemple de volonté et de courage : « Je sais, il y a des jours de doute, des jours où l’on se demande si toutes les peines qu’on se donne pour contribuer à la vie culturelle et artistique de son milieu servent à quelque chose ou s’il ne vaudrait tout simplement pas mieux continuer son petit bonhomme de chemin. Une soirée comme ce soir t’en donne la réponse Colette. »
Que cette soirée, ici et maintenant, le confirme.
Colette Hébert-Boillat
Musicienne, fondatrice de nombreux organismes culturels,
pour son engagement exceptionnel au développement des arts
fut reçue
Membre de l’Ordre du Bleuet